La Mer blanche : nulle part ailleurs, le sentiment océanique y est aussi prégnant.

 

« Certaines âmes vont à l’absolu comme l’eau va à la mer. » 

- Montherlant -

 

 

Depuis la nuit des temps, les paysages friedrichiens de la Mer Blanche (Finistère sud), nous émeuvent. La Mer Blanche, à l'instar de son grand frère l'océan, suit à la lettre le rythme du puissant métronome lunaire qui règle le cycle des la mer. Docile et appliquée, elle passe selon la marée, de la tranquillité du lac au champ sablonneux à traverser. Un grand tapis moelleux apparaît ainsi quand l'océan s'est retiré. C'est, à marée basse, un sol généreux que l'on peut sonder à volonté pour y extraire des coquillages charnus et goûteux. Et si la Mer Blanche est en premier lieu un refuge de choix pour les oiseaux de passage, elle est d'abord, pour celui qui sait voir, un incroyable joyau naturel.

 

Elle est, sans conteste, un bien précieux pour le sage.  Elle est un temple sacré, un marchepied céleste, bref, une piste d'envol qui lui permet d'atteindre l'absolu ou le "Samadhi" (le détachement du mental de toutes choses).

 

La Mer Blanche qui, comme toute chose dans l'univers, est le résultat d'une combinaison d'atomes, offre à notre regard un paysage inattendu.

Elle était, au départ, un monde rare et singulier, un espace de liberté favorable  qui donnait place à un foisonnement d'espèces. Un univers sans clôture où chacun pouvait brouter librement selon ses besoins. C'était avant que l'aventure destructrice de la nécessité économique ne la souille et que l'égoïsme des uns spolie les autres et qu'une pollution sans retour ne sévisse. Mais si, malheureusement, la nature ne repasse pas les plats, elle n'a pas encore baissé entièrement les bras, elle résiste tant bien que mal aux activités humaines et nous propose encore en pâture çà et là, aux extrémités de sa géographie, des plaques de salicornes. Profitons-en avant qu'elles ne disparaissent à leur tour !

 

 

" Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses "

- Paul Éluard.

 

Il doit exister, vraisemblablement, dans l'incommensurable, de nombreuses autres Mers Blanches, semblables, avec un caillou en plus ou en moins, mais dans cette partie de l'univers, celle-ci est unique.  Elle est, (en fonction de la hauteur de la marée), un miroir à géométrie variable qui capte la lumière venue du ciel (voir photo ci-dessous).

 

L'incroyable lumière de la Mer Blanche - FP

La Mer Blanche est une oasis

 

Le site qui, de prime abord, peut paraître anodin au quidam de passage est à y regarder de plus près, grandiose. Mais il n'a vraiment de sens que pour les rares personnes qui sont en capacité de se "plugger" au "sentiment océanique".

 

La Mer Blanche est une oasis protégée du bruit et de la fureur de l'océan par un long cordon dunaire. La Mer Blanche est une singularité secrète et rare. Sous le ballet incessant des nuages, la marée qui se retire, laisse derrière elle de longues guirlandes argentées ou un monde grouillant vit à l'abri des regards et donc des prédateurs.

 

 

Kermaout Photo FP - Mer Blanche, marée basse

Une piste d'envol pour l'âme

 

 

Le littoral, comme l'épiderme, a ses accrochordons disgracieux. L'homme, dès l'Antiquité, a utilisé ces monticules comme amers, puis avec le temps et par nécessité économique, en belvédères touristiques. La Mer Blanche, quant à elle,ne possède ni bosse, ni bâti notable. C'est un monde plat, désespérément plat, qui s'offre à notre regard. Son tracé en creux dans les terres, en fait une sorte de " Flatland ". Un "Flatland" d'ailleurs un peu marécageux aux extrémités. C'est uniquemement grâce à notre présence en tant qu'observateur qu'il acquiert vraiment une troisième dimension.

 

La nature a créé l'inattendu à cet endroit du rivage. Le dessin du trait de côte, habituellement si prompt, si impératif, a laissé place à une sorte de pouponnière, de parc à bébé qui oscille entre le modèle réduit et le sanctuaire. La Mer Blanche est une lagune exceptionnelle qui résulte du mariage réussi entre deux mondes pourtant opposés : l'océan tumultueux par nature et le lac tranquille par essence. D'un côté, on doit payer rubis sur l'ongle pour survivre coûte que coûte, et de l'autre, on vit planqué et on meurt assurément, mais à crédit.

 

Au fil du temps, la Mer Blanche a rempli le rôle précieux de garde-manger.  Un garde-manger généreux aux rayons remplis de victuailles potentielles, même quand les canons de la guerre grondaient au loin. Les riverains ont ainsi vécu en parfaite symbiose avec elle pendant des siècles avec elle jusqu'à ce que la catastrophe écologique ne l'amoche définitivement (sans retour possible) en rendant notamment ses coquillages impropres à la consommation. Le pays de Cocagne n'est plus, au nom du progrès, le pneu a terrassé pour de bon le sabot de bois !

 

Les trous d'eau qui restent à marée basse ont toujours été des réceptacles propices à la vie marine. Alevins, crevettes, petits crabes verts et petits poissons, y trouvaient en nombre un refuge sûr. Il subsiste encore un peu de ce foisonnement initial. Les plus gros tentent toujours de boulotter les plus petits qui se planquent tant bien que mal. Ainsi va la vie ou plutôt la survie !

Tout ce petit monde qui semble être là depuis la nuit des temps, constitue la chaine d'un cycle de vie sans fin, génération après génération.

 

Si la Mer Blanche est au final plus qu'un épiphénomène, même si on n'y trouve pas la trace d'un naufrage ou de fait guerrier notable à se mettre sous la dent. On est vraiment dans le cul-de-sac du monde, il ne reste qu'un ciel à essuyer de temps à autre pour y voir clair. 

 

Sommes-nous programmés pour vivre une expérience mystique ? Je n'en sais rien, mais fichtrement rien ! Mais en tout cas, on doit accueillir sans retenue cette expérience spirituelle induite par ce lieu magique qu'est la Mer Blanche. C'est une expérience unique !

Le sentiment océanique

 

Quand vous vous vous rendez à la Mer blanche, vous pouvez ressentir la sensation de n'être en fait qu'une des vagues de l'océan présent derrière la dune, d'en faire partie tout en étant bien à l'abri, en totale sécurité. C'est ce que l'on appelle le sentiment océanique. C'est, en quelque sorte, vivre une élation. Il suffit de se débarrasser de l'habitude stéréotypée de voir les choses comme attendues et sans surprises pour atteindre cet état de félicité (le sentiment océanique est une notion psychologique et surtout spirituelle formulée par Romain Rolland qui est l'impression de se ressentir en totale unité avec l'univers — ou avec ce qui est « plus grand que soi », en dehors toute croyance religieuse préétablie).

 

Ce sentiment océanique, on le retrouve notamment dans certaines peintures de Gerhard Richter (par exemple dans la toile : Chinon n°645). Cet artiste a su, plus que tout autre, saisir avec talent cette mystérieuse sensation de communion avec l'univers.

 

Cette vue (ci-dessous) de la Mer Blanche a été retravaillée pour correspondre à la peinture de Richter.

 

 

Une spiritualité trompeuse

Photo FP - Mer blanche façon Richter

La communion avec l'univers (ou sentiment océanique) ne doit pas nous égarer. Ne nous fourvoyons pas dans les bras consolateurs d'une spiritualité à deux balles, car imposée par la société  :

 

   "Ne restons le nez dans les cieux/Nous deviendrions catholiques/Je veux dire mélancoliques/ Imbéciles et soucieux"

 

Stéphane Mallarmé - Un coup de dé jamais n'abolira le hasard.

 

 

 

Ce qui nous dépasse nous interroge.

Bénodet Photo Francis Pierre - Mer blanche

J'entends par métaphysique tout ce qui tend à montrer ce qu'il y a derrière la nature et la rend possible"

- Schopenhauer-

Si la spiritualité est un courant ascendant, un courant d'adhésion qui nous élève, la religion est malheureusement le plus souvent un courant descendant qui nous entraîne vers le grand large de la bêtise en s'échouant sur les hauts-fonds de la soumission aveugle au dogme.

Bénodet Photo Francis Pierre - Mer blanche

Des morceaux d'univers

 

Si l'homme ordinaire ne voit dans les grands bancs de sables que des surfaces mornes (désormais contaminés par des algues vertes de plus en plus nombreuses), l'homme éclairé y verra des bribes d'univers :

 

"Une parcelle de sable ne serait rien si elle n'avait son fondement dans le monde physique entier. Ce grain de sable est connu dans son contexte de l'univers, où nous connaissons toutes choses par le témoignage de nos sens. Lorsque je dis que le grain de sable est, le monde physique se porte garant de la vérité qui est derrière l'apparence du sable."

- Rabindranath TAGORE : " La Religion de l'homme"

 

Just my imagination ?

 

On peut toujours, par paresse intellectuelle, s'en remettre au champ un peu réducteur du freudisme pour expliquer la complexité. À ce titre, essayons la psychanalyse via la régression thalassale de Sandor Ferenzci pour essayer d'expliquer notre trouble On peut ainsi convenir que notre bien-être constaté in situ ne résulte, en fait, que d'une étrange sensation déclenchée par l'impression inconsciente de retrouver la douceur d'une vie intra-utérine. La Mer Blanche se gonflerait donc au gré des marées comme un ventre maternel pour se vider ensuite façon chasse d'eau par son goulet (vulve) du Groasguen.

 

Mais rechercher frénétiquement une causalité à tout, revient à s'intéresser au trognon de la pomme sans en apprécier avant tout sa chair savoureuse et sa dimension poétique.

 

Osez dire ce que vous nommez pomme.

Cette douceur qui d’abord se concentre,
puis, tandis qu’on l’éprouve, doucement érigée,

se fait clarté, lumière, transparence.
Son sens est double : terre et soleil.
Expérience, toucher : ô joie immense !

 

Rainer Maria RILKE
Recueil : "Sonnets à Orphée"
 
 
Avertissement
 

Je dois me livrer : si j'évoque un temps où la biodiversité ne s'était pas encore effondrée, c'est en partie par nostalgie. J'ai arpenté moi-même la Mer Blanche en long et en large pendant ma jeunesse en un temps où la notion même d'écologie était encore inconnue du grand public !

J'ai mis du temps pour poser le doigt sur l'importance de l'expérience spirituelle que j'ai alors vécu in situ. Je suis conscient  maintenant que ce que je'ai ressenti à l'époque  n'était en fait que la somme des expériences sensibles d'une partie de mes ancêtres qui vivaient en symbiose avec la Mer Blanche. Bien sûr, je ne connaissais pas alors les mots élation ou enstase même si j'en faisais déjà intuitivement l'expérience.

 

" Je suis l'espace où tout se produit. Je suis la conscience.

Je suis le Présent. Je suis".

- Eckart Tolle  

 

"Je ne suis ni mes pensées, ni mes émotions, ni mes perceptions sensorielles, ni mes expériences. Je ne suis pas le contenu de ma vie. Je suis la Vie. Je suis l'espace dans lequel tout se produit. Je suis la conscience. Je suis le Présent. Je Suis."

- Eckart Tolle  

 

“L'on ne peut goûter à la saveur des jours que si l'on se dérobe à l'obligation d'avoir un destin.” nous a dit Cioran. Je suis à un âge ou je n'ai plus de destin à réaliser, ni d'obligation à tenir, si ce n'est celle de tenter de finir mon parcours terrestre en pleine conscience. Mais je sais qu'au-delà du temps qui passe, je ne pourrai jamais plus goûter à la saveur de toutes ces choses que noua avons bousillées par ignorance et surtout par avidité.

 

L'écologie

 

 

 

 

" La vérité est un miroir brisé, et chacun en possède un petit morceau"

- Rûmî

 

La mer blanche, c'est mon petit morceau.

 

 

Photo FP - Mer Blanche - miroir doré
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L'émerveillement, c'est la fleur de la conscience