De l'harmonie dans l'art

 

" Je crois dans le Dieu de Spinoza qui se révèle dans l'harmonie ordonnée de ce qui existe, et non dans un Dieu qui se préoccupe des destins et des actions des êtres humains ".

Einstein

 

" Les choses qui sont dotées de proportions correctes réjouissent les sens" 

- Thomas d'Aquin

 

Pour Galilée, le grand livre de la nature est écrit en langage mathématique comme pour Euclide et sa géométrie.  Le nombre d'or (à savoir 1,6180339887), nombre défini et récurrent de ce langage, a été employé par les hommes de manière empirique, dès la haute Antiquité. Léonard de Vinci et Luca Pacioli (moine bolognais et professeur de mathématiques) l'ont identifié précisément et introduit dans le monde de l’art via un traité en 1498 :  De divina proportione (La Divine Proportion) Un traité notamment illustré du fameux dessin de Léonard de Vinci : "l'homme de Vitruve". Si le nombre d'or tient aux yeux des hommes un rôle de premier choix dans la réalisation du beau, c'est qu'il est une règle incontestable d'agencement harmonieux. Il a pour fonction d'organiser la nature pour la rendre désirable, gracieuse, fonctionnelle. Il devient donc, de fait, dans un monde qui, dans les esprits, est le fruit de la volonté de Dieu, une règle forcément divine.

 

Le nombre d'or est le résultat d'un rapport entre deux longueurs.

Ainsi, il apparaît à un certain quand on calcule le rapport entre deux nombres qui se suivent dans la suite de Fibonacci : 0, 1, 1, 2, 3, 6, 8, 13, 21 -  plus le nombre divisé est élevé, plus son rapport avec le nombre précédent est proche du nombre d'or (chaque nouveau nombre entier étant la somme des deux nombres précédents). Ce nombre, on le trouve partout, de l'ossature à l'ADN. Des chercheurs viennent d'ailleurs de prouver que des principes mathématiques abstraits sont encodés au niveau de l'ADN. La nature semble bien être guidée dès le départ non seulement par des règles, mais aussi par une harmonie mathématique universelle. Si le grand livre de la nature est bien écrit en langage mathématique, comme le disait Galilée, ce même langage la pilote.

 

Pendant longtemps, la réalité s'est limitée à ce que l'on voyait (d'où le très populaire et limitant : "Je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois"). Il faudra attendre la découverte du rayonnement infrarouge par William Herschel en 1800 pour qu'enfin, on commence à convenir qu'il existe des réalités non visibles. En gros, jusque-là, seule l'observation directe par les yeux était digne de foi. Si l'humain dans sa grande majorité ne savait ni lire ni écrire, il appréciait néanmoins la géométrie équilibrée offerte directement par la nature.  Géométrie qu'il transposera dès l'Antiquité dans ses constructions, œuvres d'art et monuments sacrés. On faisait tout de suite le distinguo entre l'ordonné et le chaotique. Les fleurs étaient belles, incroyablement belles, tout à l'opposé d'une organisation anarchique. On s'est alors aperçu que la disposition de leurs pétales était déterminée par le nombre magique issu de la suite de Fibonacci. Ce rapport issu de cette suite mathématique est devenu en quelque sorte subliminal. Il s'impose à nous, à en devenir incontournable. C'est la colonne vertébrale de la nature, celle-ci ne peut être produite que par une force divine, conclura le béotien. On retrouve le nombre d'or partout, dans les galaxies, l'ADN, les proportions du corps humain et même dans l'emplacement géographique de la Mecque (par rapport aux pôles). Simple coïncidence ou preuve d'une intervention supérieure, d'un programme mathématique suprême ? En tout cas, tout cela est fort de café. D'ailleurs, le ratio idéal entre l'eau et le café pour préparer un bon café est assez proche du nombre d'or. D'ailleurs le corps humain comporte 206 os et je roule en 206 ! Vous avez dit bizarre : moi, je dis  "rien à voir" mais je ne pourrai pas en aucun cas réaliser un tour du monde avec puisque la terre est plate et que le vide m'attend au bout de la route !

 

La règle du tiers utilisée en photographie, nous l'employons instinctivement, pour peu que l'on ait un œil exigeant. C'est un cadrage intuitif qui colle avec le nombre d'or. Pour satisfaire nos sens, notre cerveau s'inspirait-il de lui ?

 

 

 

Le réel est un bloc énigmatique à sculpter selon ses capacités et croyances. Il nous est imposé par la nature. L'homme en fera les Vénus du paléolithique, la sublime vierge voilée de Giovanni Strazza ou l'imposant Bouddha de Leshan taillé à même la falaise. Tout est à portée de burin, si on s'en donne la peine. En fait, pour exister pleinement dans ce monde, on doit aussi et surtout impressionner la psyché l'autre !

Attention néanmoins à ne pas gober les œufs d'une poule venant d'un autre poulailler que le sien !

 

 

Il y a quelques années, je me suis retrouvé au musée de Pont-Aven devant un tableau de Paul Sérusier. Ce tableau (pas un des meilleurs Sérusier !)  était accompagné d'un texte relatif au nombre d'or.

 

Ce texte, peu clair, nous indiquait que l'emploi de la proportion divine avait contribué à la réalisation de cette œuvre. Une notice de montage pour un meuble iKEA aurait été d'ailleurs plus explicite !

Paul Sérusier était pourtant connu comme un fervent défenseur de cette proportion mathématique appliquée à l'art quand je me hasarde à parler de mathématiques en Art, on sourit comme à un fou (Dans notre société, on oppose les mathématiques à l'Art comme on oppose la science à la religion) - Paul Sérusier, 1921.

 

Je me suis mis alors tout simplement dans la peau d'un collégien qui devait comprendre le nombre d'or grâce à cette peinture.

Certes, l'utilisation de la proportion magique transcende toute construction, qu'elle soit naturelle, architecturale, picturale, etc, mais encore faut-il comprendre comment on la détermine pour pouvoir l'appliquer. Une présentation pédagogique de ce fameux nombre d'or réellement accessible m'a paru alors nécessaire.

 

Je me suis rappelé que par curiosité, j'avais étudié de mon côté l'utilisation du nombre d'or par Grant WOOD. J'avais remarqué que ses œuvres étaient fidèlement construites selon son principe. Voilà qui nous changeait des exemples traditionnels comme Seurat, Vinci ou Botticelli.

Grant Wood, peintre populaire américain évoluant aux frontières du naïf, propose des œuvres facilement abordables, dommage qu'elles ne soient pas plus utilisées dans un but pédagogique. Petits et grands peuvent aisément apprécier son art sans se faire des nœuds au cerveau.

 

Le nombre d'or (PHI - φ)  est un rapport entre deux longueurs qui équivaut à  : 1,618 033 988 749...... (décimale infinie).

 

Le nombre d'or sous-tend nombre de figures géométriques très présentes dans la nature (coquillages, plantes, corps humains, etc). On appelle aussi cette règle proportion divine, proportion d'or, section d'or.

 

En 1930, le grand Einstein a écrit au rabbin Goldstein : "Je crois au dieu de Spinoza qui se révèle dans l'harmonie de tout ce qui existe, mais non dans un Dieu qui se préoccuperait du destin et des actes des êtres humains".

 

Le nombre d'or, c'est ce nombre (déjà connue par de nombreuses civilisations anciennes) qui, appliqué à la géométrie, permet d'atteindre l'harmonie par une distribution harmonieuse de la forme.

 

Le nombre d'or est-il dès le départ plus grand que nous ou bien une règle spontanée nécessaire à l'auto-organisation du vivant ? Nul ne le sait. Ce qui est évident, c'est que l'harmonie repose sur lui. Et que cette harmonie, on la trouve particulièrement dans les œuvres de Grant Wood.

 

 

 

Grant Wood

Grant Wood -Young Corn - 1931

Comme dans ce tableau ci-dessus où la nature recouvre l'angoisse humaine de son édredon chaud et douillet.

De nombreuses reproductions de ce tableau d'inspiration naïve ornaient les murs des foyers américains.

Ce paysage du Middle West aux formes simplifiées et apaisantes semble consoler les hommes. C'est comme un talisman pictural pour celui qui en possède une reproduction.

 

Il est habilement construit et fait penser, par sa stylisation, à certains paysages de Félix Vallotton.

Cette campagne molletonnée et bien rangée évoque, par son relief, le mamelon maternel. La nature s'étale comme un édredon chaud, douillet et assez réconfortant pour être tirée sur l'angoisse humaine.

Mais c'est avant tout un modèle d'équilibre et d'harmonie parfaitement distribuée autour du nombre d'or.

 

L'étude des œuvres de Grant Wood à l'aide d'une spirale logarithmique (spirale d'or) est édifiante (la spirale d'or est une application géométrique du nombre d'or). Elle utilise les quarts de cercles inscrits dans chaque carré - prendre un rectangle d'or au départ  - dont le grand côté équivaut au petit multiplié par 1,618, puis lui enlever lui un carré dont le côté est égal à la largeur du rectangle pour obtenir un nouveau rectangle d'or, plus petit. Et continuer ainsi de suite.

Grant Wood et Nombre d'or

Grant Wood, qui avait à la base une solide formation d'ébéniste et de ferronnier, exerça pendant des années la profession de décorateur d'intérieur. Il n'est donc pas étonnant que, comme dans l'œuvre ci-dessous, il distribue (consciemment ou inconsciemment) son dessin selon le tracé d'une volute  (un motif récurrent dans l'art de la ferronnerie). 

Grant Wood - Death on the Ridge -

Death on the Ridge Road -Grant Wood

Ce Golgotha routier est parfaitement construit autour du nombre d'or. Les poteaux électriques lugubres s'y dressent comme des croix, l'inquiétant camion rouge qui arrive dans une lumière apocalyptique à la couleur du sang, la route est sinueuse comme le destin, les automobiles sont trapues et sombres comme des corbillards. Tous les éléments qui constituent le tableau sont habilement distribués selon les règles du nombre d'or pour obtenir une tension dramatique maximum. Il est difficile de ne pas céder en quelque sorte à la posture de l' "ambulance chasing" quand on procède à l'analyse d'une œuvre d'art. Si l'artiste emploie le nombre d'or pour réaliser sa composition, c'est bien souvent inconsciemment qu'il le fait (probablement dans ce cas-ci). Si le nombre d'or est employé dès l'Antiquité pour construire le Parthénon ou la pyramide de Khéops, il faudra attendre la Renaissance pour le trouver dans la peinture de Léonard de Vinci ou Boticelli. Son utilisation raisonnée au paléolithique semble improbable. Ce n'est donc pas un a priori transcendantal qui s'impose d'emblée, mais le fruit d'une découverte intuitive qui, après l'architecture, trouvera un nouveau champ d'application via la peinture et influencera des artistes/artisans comme Grant Wood qui en feront la base non consciente de leurs créations.

 

De nombreux artistes ont directement construit leurs œuvres d'après les règles du nombre d'or (Seurat, Dali, Le Corbusier et Paul Sérusier et même des compositeurs de musique comme Béla Bartók).

Sérusier écrivait dans son ABC de la peinture :

 "Orner une surface, c'est en souligner les bonnes proportions. J'appelle bonnes proportions les proportions sur lesquelles est construit le monde extérieur, y compris notre corps ; ce sont celles qui reposent sur les nombres premiers les plus simples, leurs produits, leurs carrés et leurs racines carrées", ou encore dans sa correspondance :

 "Je crois actuellement que la seule chose que puisse faire un artiste est d'établir une harmonie, en formes et en couleurs" et "L'harmonie est le seul moyen, comme la prière, de nous mettre en communication avec Dieu. Tout le reste, dans l'art, n'est qu'une illustration, sentiment personnel, individualisme, poésie humaine, etc." - Lettre à J. Verkade - 1906.

 

Paul Sérusier a appliqué les règles du nombre d'or dans de nombreux tableaux comme dans "La lutte Bretonne :

Paul Sérusier - La lutte bretonne

L'emploi de la divine proportion semble plus évident dans les pures compositions que dans la peinture de paysage. Si le paysage nous est donné à voir, il est, après l'immédiate perception rétinienne, analysé, évalué, apprécié sensiblement par notre être. Sa reproduction par l'artiste (à moins d'opter pour une déconstruction et recomposition) est toujours, en fait, dépendante du respect d'une certaine cohérence spatiale. Cela ne laisse guère à l'artiste que le choix d'un cadrage judicieux (à la manière d'un photographe) pour remplir au mieux les conditions de la divine proportion. Quoi qu'il en soit, nous cherchons toujours de manière consciente ou inconsciente le meilleur angle pour apprécier les choses. Comme ci-dessous dans cette œuvre de l'artiste : Philéas.

De la vanité des étoiles - Philéas -

OU encore chez Sérusier :

Paul Sérusier Paul Sérusier - Les blés verts au Pouldu

Dans Les Blés verts au Pouldu, Paul Serusier

Mais pour certains artistes comme Hans Hartung l'utilisation du nombre d'or dans ses travaux artistiques est un carcan dont il faut se libérer pour retrouver la spontanéité créative :  

 « J’en avais assez. Un beau jour, j’envoyai tout au diable et je sortis mes anciens dessins, je retournai à mes taches des années 1922-1924. […] Et je retrouvai la liberté de peindre"  

Libéré de cette contrainte, Hans Hartung sera un des précurseurs de l'art informel, de l'Action painting et du geste libre de l'abstraction lyrique. Mais la vérité absolue du trait n'est-elle pas elle-même aiguillée par une règle éternelle ?

Chez tous les artistes de la grande épopée de l'art informel, on trouve en filigrane la nécessité de trouver un équilibre, comme si une loi invisible guidait leur main. La jubilation initiale de l'acte libre n'est pas aussi désordonnée qu'il y paraît.

 

Le nombre d'or rend les choses accessibles à nos sens. Qu'il soit une simple règle mathématique en cours dans le cosmos ou l'émanation incompréhensible d'une "source" transcendantale, peu importe. Il peut certes irriter certains analystes scientifiques frigides résolument allergiques au merveilleux, mais l'harmonie est bel et bien souvent là quand l'artiste l'utilise pour organiser sa proposition.

 

Pour ma part, je ne suis pas vraiment convaincu par les œuvres pensées et produites dans le strict respect des règles du nombre d'or nous parlent plus que les autres. La  "Musique pour cordes, percussions et célesta" de Béla Bartók me laisse presque de marbre bien qu'elle soit rigoureusement construite selon le nombre d'or. J'apprécie particulièrement des œuvres musicales produites en marge de ces règles comme celles de Philip Glass. Et si celui-ci avait suivi un cursus mathématique dans sa jeunesse, il n'utilisera pas directement en fonction de la proportion divine dans son art et pourtant, pour moi, sa musique me parle plus que tout ! Le jour où j'ai découvert ses œuvres un peu par hasard chez un disquaire dans un sous-sol le long de la seine, c'était "in a nutshell", le "all inclusive " des sens. Tout était rassemblé dans sa musique : le sacré, la vérité, la vrille transgénérationnelle, l'espoir vain, le lait de la tendresse humaine. Le nombre d'or n'y était pas convié. Et pourtant !

Hans Hartung - Lithographie

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