Une collection rêvée et intime.

 

Sur le seuil de la grande nuit glacée du passé, cette jeune fille cherche à croiser le regard d'un vivant.  Son vivant du jour.

 

 

 

Ce portrait surnaturel date de l'Égypte antique. C'est alors en quelque sorte le photomaton de l'époque. Depuis le néant deux grands yeux noirs magnétiques et intenses nous regardent et  nous interrogent.  Ce portarit énigmatique est exposé au Musée du Louvre.

Il est peint à l'encaustique sur une fine planche de cèdre et fait partie d'un ensemble dit du "Fayoum". Il était destiné à être inséré entre les bandelettes d'une momie, au niveau de la tête.

 

Comme un hublot ouvert sur le huis clos des ténèbres.

 

On l'appelle "L'Européenne", tant elle nous est familière : on pourrait presque la croiser dans la rue. Sans y prêter spécialement attention à part son jolie minois.

La délicate carnation nacrée, le dessin précis et réaliste des traits du visage, les deux points blancs qui animent le regard, sont les preuves d'une réalisation picturale pleinement maîtrisée. Et surtout ce regard qui interroge, ce regard qui ne nous laisse pas indifférent.

 

L'œil est au visage ce que le chas est à l'aiguille, c'est par là que passe le fil des merveilles.

Les buitophiles s'emparent nerveusement des burettes d'huiles dès qu'ils en trouvent une par hasard chez un brocanteur, alors que d'autres collectionnent des bagues de cigare. Pour ma part, j'ai commencé  à me constituer en catimini une petite collection de portraits photographiques. C'est une famille de cœur que je peux librement et secrètement compléter au gré de mes découvertes.

"L'Européenne" y a trouvé une place de choix. Rassurez-vous, je n'ai pas punaisé ma Néfertiti au mur comme une vulgaire pin-up du calendrier Pirelli. Elle a rejoint mes autres trouvailles dans mon Panthéon imaginaire.

C'est mon sanctuaire, bien planqué au fond d'un placard dans un classeur sans charme. On y trouve surtout des portraits photographiques comme celui de l'actrice garçonne Louise Brooks, celui deLou Andreas Salomé ou encore de la la rockstar Dolorès (sans son encombrant zombie), et surtout Gemma, Gemma Galgani.

 

Ce même visage ovale, comme un corps céleste

 

Gemma à la même posture sage d'étudiante que "l'Européenne". Les mêmes longs cheveux noirs tirés en arrière, la même raie centrale, le même nez délicat  et surtout ce bel ovale pour le visage : celui d'un corps céleste. Mais il existe une différence notable au niveau du regard : Gemma semble bien plus confiante que l'Européenne" dont le regard est avant tout une supplique.

Gemma Galgani Gemma Galgani

Il faut dire que j'ai un petit faible pour les belles jeunes femmes, surtout si elles sont mystiques. La première à rejoindre mon album a été Ma Ananda Mayi. C'est d'ailleurs par sa photo que ma collection a commencé.

Un regard d'une incroyable douceur qui vous enveloppe corps et âme.

D'ailleurs un mantra consacré à la "Mère pénétrée de béatitude" tourne inlassablement dans ma tête, comme une ritournelle. Ou l'étincelle divine en boucle.

 

 

Ma Ananda Mayi Ma Ananda Mayi

J'aime les livres. L'embonpoint de ma bibliothèque en témoigne. Quand j'en trouve un sur un vide grenier, je l'aère d'abord en soufflant les feuilles au sèche-cheveux. C'est ainsi que la photo jaunie d'une belle inconnue d'avant-guerre est tombée du troisième tome de la Divine Comédie de Dante. La belle a rejoint ma collection. C'est ma soldate inconnue.

Mais je n'ai pas que des portraits de femme dans ma collection, j'ai aussi des reproductions d'œuvres artistiques comme le lièvre de Dürer.

 

 

lièvre de Dürer Lièvre de Dürer

Le lièvre est un bouddha des champs

 

Le lièvre est un bouddha des champs. Comme lui, il a de grandes oreilles. Elles lui servent à déceler les bruits suspects et à détaler dans les foins si besoin. Le pas caoutchouteux du chasseur et le souffle saccadé du chien ont désormais remplacé le loup et le renard.

On représente toujours le Bouddha avec de grandes oreilles, car il écoute l'univers dans ses recoins les plus éloignés.

La vie précaire du lièvre en fait un saint du règne animal. Le lièvre de mars ne goûte à l'insouciance de la farce terrestre qu'au printemps. Les autres saisons ne sont pour lui qu'ennui.

 

 "Les animaux sont des théologiens muets.

Leurs nerfs sont les cordes du ciel "

Christian Bobin- La grande vie

 

Je n'ai pas retenu pour ma collection les visages idéalisés du Christ pantocrator. Des images racoleuses, comme celles de la publicité.

 

Le dieu des hippies est bien trop beau pour être crédible.

 

Un jour, j'ai découvert par hasard, le Volto Santo di Manoppello. Ce"selfie" miraculeux sur de la soie marine (byssus) a maintenant une place de choix dans ma collection

 

 

Volto Santo di Manoppello Volto Santo di Manoppello

Enfin, une tronche de Divin qui ressemble à un pinpin ! Un second rôle au cinoche !

Mais ce que j'aime le plus c'est les visages résumés.

 

Ce visage exécuté ci-dessous par Alexej von Jawlenskyne ne résume-t-il pas parfaitement avec une innocence quasi enfantine celui de la Sainte Face ?

 

On doit se résumer soi-même

avant de se perdre dans l'immensité.

Alexej von Jawlensky Alexej von Jawlensky
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