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« C’est là, toute la magie de l’art,
l’alchimie peut être insouciante et son résultat fulgurant »
Quelque part entre la peinture de Yahne Le Toumelin,
celle de Joan Mitchell et
les « Paintings on paper » d’Helen Frankenthaler, Nathalie AURY pratique un art d’imprégnation qui s’inscrit dans la mouvance de l’expressionnisme abstrait. Des couleurs recherchées
vibrent au rythme d'une gestuelle graphique et lyrique d'une grande sensibilité. Son art subtil, à la fois turnérien et brut, organique et métaphysique, réussit le tour de force de proposer des
configurations, à la fois personnelles et d'une universalité partagée.
Comme la définition préalable ne doit pas l'emporter sur l'observation, voici ci-dessous trois de ses œuvres sur papier commentées :
L'oracle
blanc est un beau songe qui remise le cogito
au porte manteau des âmes.
C’est une œuvre atemporelle, sans chlorophylle, toute de porosité blanche et de rouille couturée. Une imposante arche monolithique, sorte de congère cyclopéenne habite l’œuvre d’une présence organique. Elle se dresse, énigmatique, drapée d’hiératisme comme le vestige d’une proto-religion. L’artiste, qui est bien le seul à pouvoir monter le volume du son du silence, a entendu au loin, dans la brume dense de son imaginaire, le chant infini du néant. Il donne alors un visage fabuleux à cette partition métaphysique Attention, l’image n’est pas preuve ! L’artiste est un funambule qui avance sur la ligne de crête qui sépare l’en-dedans et l’au-dehors. Il transcende son vertige pour nous restituer des images dont il ne garantit pas la provenance. C’est là toute la magie de l’art, l’alchimie peut être insouciante et son résultat fulgurant.
Cette œuvre d’art, de par sa force singulière, son étrangeté et son traitement chromatique est dans la filiation artistique d’une œuvre culte de la fin du 19ème siècle : « L’ile des morts » d’Arnold Böcklin.
Le seuil du jardin ou quand l’art est « abstrait mais avec des souvenirs » (comme le revendiquait Paul KLEE).
Au premier plan, une broderie noueuse, forgée et ciselée aux coulures transparentes d’un dripping bleu curaçao. Le spectateur se trouve ainsi isolé derrière un dispositif qui agit à la manière d’un moucharabieh. Il perçoit alors un second plan constitué d’un grand aplat lumineux comme un instant d’éternité, ombragé sur le bas et délimité en haut par une lointaine futaie. C'est un monde ou le soleil à son zénith inonde notre cœur d'enfant dans un parc imaginaire. Sûrement une réminiscence des temps heureux, d’un Eden introuvable.
Dans un roman d’André Hardellet, le Seuil du jardin, Swaine, dit au peintre Masson : « Ce que proposent vos tableaux, ce qu’ils vous rappellent et me rappellent également comme s’ils venaient d’un… d’un fond, d’un passé commun encore accessible à certaines consciences. ».
Ce roman s’ouvre sur cette citation de
Marcel Proust :
« Cette incompréhensible contradiction du souvenir et du néant
Tracer et délimiter c’est avant tout dire quelque chose en donnant une apparence à un agrégat d’atomes. C’est dans la définition et la distribution de l’espace que nous pouvons nous situer. Le trait est au distinct ce que l’homme est au divin, une interrogation sans fin sur la forme et le fond. Ce même trait qui segmente et sépare chez Mondrian va s'angoisser chez Bernard Buffet puis être le dispositif essentiel du graffiti. Il sait également nommer les choses dans l'espace sous la forme d'audacieuses acrobaties comme l'arabesque du calligraphe.
Ici, le trait est traversant. Linéaire dans son intention première, il s'abandonne ensuite à la dilution puis à l'empâtement d'un Lapis Lazuli coagulé pour découper avec plus d'à-propos un fond brossé de blanc ocreux en une tectonique vibratoire qui renvoie aux facettes intimes de l'artiste dans sa relation au monde. Mais en aucun cas, ce trait qui divise la surface de ce papier égratigné pour définir les masses nécessaires à la narration d'une architecture absolue, ne désagrège l'œuvre dont l'unité est préservée.
Le trait est plus qu’il ne paraît, il est, tout simplement.