J'aime l'art subtil des aquatintes et eaux fortes. J'ai ainsi fait notamment l'acquisition de deux œuvres de ce type. Bien qu'appartenant d'une même série, elles ne paraissent pas être des sœurs de création tant elles sont différentes.
Cette différence de traitement est un choix artistique.
En vampirisant la première version pour nous en livrer une seconde exsangue, l'artiste tire le rideau des apparences qui dissimule le catafalque où gisent nos illusions perdues.
Il y a une forte parenté entre l'art de Caroline Leité et celui de Rachel Whiteread. Elles ont toutes deux, à l'aide de techniques et médiums, plus proches du monde industriel que du marchand de couleurs, l'ambition de redonner avant tout sa dignité au quotidien.
L'ADN de l'art de Caroline Leite est à double hélice. D'un côté, il tient un propos de béton et de l'autre il traite, notamment par la photographie, de la
relation entre l'après et l'avant. Caroline Leite navigue le long de ce qu'elle appelle "les bords de route". L'artiste se mue en reporter pour saisir l'absence, le temps qui passe et les
fantômes qui chantent le silence.
Caroline Leité les longe comme un capitaine au long cours à la recherche d'un amer
et quand elle déclenche, c'est avec tous les égards d'un archéologue qui époussette
un bottin d'avant toutes les guerres.
La maison qui l'a l'inspirée est au bord d'une nationale. Ces nationales qui partent de Paris sont semblables à ces longs rubans enduits de glu, tragiquement suspendus au plafond pour attraper les mouches. Là, ce sont des maisons qui s'y agglutinent. Comme les stigmates d'un bourdonnement économique révolu. Maintenant, ces constructions sont délaissées, abandonnées, car prises au piège monstrueux d'une incessante et bruyante circulation automobile.
Avec la première version, on peut aisément imaginer derrière un portail fatigué, une allée de mâchefer qui mène tout droit à une porte d'entrée ornée d'une ferronnerie rongée par la rouille dont les torsades malingres protègent une vitre crasseuse. Et derrière celle-ci, un esprit immobile encore pétrifié par le tic tac maudit de l'horloge et ahuri par l'autre côté des choses.
Puis notre regard se perd dans la deuxième version dans un océan vibratoire, celui du son originel, le Om de la substance primordiale, celui du vide plein.
On dit de l'art qu'il donne un sens à nos vies, qu'il est une fenêtre sur l'éternité, mais n'ouvre-t-il tout simplement sur un océan qui ballotte nos interrogations au gré des courants contraires ?