L'humus des jours

Je me rends en 1976 à l'exposition Tal Coat au Grand Palais. Puis deux ans plus tard, au même endroit, j'admire les imposants grands formats de Georges Mathieu.

Mais c'est deux ans plus tôt, en 1974, informé par un article du journal Libération, que découvre pour la première fois à l'art contemporain. Je me rends ainsi par curiosité au premier salon international d'art contemporain organisé à Paris dans l'ancienne Gare de la Bastille.

Les visiteurs de la foire étaient alors aussi rares que les cheveux sur la tête d'un Brancusi. Devant le peu d'affluence, les marchands se lamentaient dans les allées. C'est vrai qu'elle était un peu minable cette exposition avec son Tapisom élimé et maculé. Des plantes vertes cacochymes tentaient d'égayer les stands. Finalement, je me souviens plus de la rancœur des marchands envers les organisateurs (pour eux, cette foire puait l'arnaque !) que des œuvres exposées. Cette foire allait pourtant perdurer pour devenir l'incontournable FIAC !

 

Létrave - Philéas -

 Á la recherche du "rayonnement fossile de la peinture".

 

C'est, plus tard, grâce à  la  rétrospective au Grand Palais consacrée au peintre Tal Coat que j'ai vraiment fait connaissance avec l'art de mon époque.

Cette exposition muséale s'articulait autour des deux périodes créatives de l'artiste. Despériodes bien différentes l'une de l'autre. À la première, figurative, qui s'inscrivait dans le sillage de l'École de Paris  ( grandement influencée par Cézanne), succédait une seconde, résolument abstraite, constituée de magmas telluriques animés de traces et biffures (Cette terre lourde, légère, foncée, claire, tendue ou s'affaissant, il me la faut comprendre, là est le mystère de la peinture - Tal Coat- Notes 1970-1975). Son abstraction était vraiment aux antipodes de l'abstraction envahissante et vibrionnante d'un Georges Mathieu.

Or, il se trouve que quarante ans plus tard, je tombe sur les entretiens entre Tal Coat  et André Du Bouchet (Ratilly 1979) : "Il n'y a qu'à regarder toute la peinture gestuelle, ça n'engage jamais, c'est inerte, et c'est pour cela qu'ils parlent de signes. Il y a une action pour le faire, mais il n'y a plus d'action une fois que c'est fait. Je ne mets pas en cause la valeur esthétique des rapports de tons ni un tas de choses, mais en réalité il n'y a pas d'espace, parce que l'espace n'est pas une dimension, c'est une énergie. Croire qu'en faisant des toiles de six mètres on aboutit à l'espace est une erreur."

 

Nul doute que Tal Coat se réfère à la peinture de Georges Mathieu. J'ai mis du temps à apprécier à sa juste valeur la peinture de Tal Coat. Puis, un jour, j'ai compris qu'il était tout simplement à la recherche du "rayonnement fossile de la peinture".

 

« Oui, pour moi, l’essentiel dans la peinture, c’est le fond. Pas la préparation des fonds, mais cet humus. C’est le soubassement…, la possible naissance de tout déjà. Ce n’est pas de l’inertie en dessous, ça commence. C’est un lieu inhabité encore des choses, qui n’est pas objectivé, mais qui a sa vie propre. »

Entretien Pierre Tal Coat avec Jean-Pascal Léger.

 

Tal Coat est un peintre de la matière,

de la chimie démiurge des argiles.

Avec elle, tout est possible,

même le Golem.

Hommage à Tal Coat - FP

Le passage de l'inerte au vivant est un grand mystère.

Seule, la peinture peut montrer cette transmutation.

 

Antoni Tapiès écrivait à propos de son travail : " L'œuvre est un simple support de méditation, un artifice servant à fixer l'attention ou à exciter l'esprit ; sa valeur ne se juge qu'à ses résultats" mais ausssi à propos du sentiment artistique : "C'est comme un voyage au centre de l'univers qui fournit la perspective nécessaire pour situer toutes les choses de la vie dans leur dimension réelle ".

L'écume - FP -

Tal Coat était un marcheur infatigable. Il arpentait le monde dès qu'il mettait le nez dehors. Il en explorait mentalement les moindres recoins. René Char a magnifiquement évoqué la démarche du comtemplateur :

 

"Nous ne pouvons vivre que dans l'entrouvert, exactement sur la ligne hermétique de partage de l'ombre et de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés en avant. Toute notre personne prête aide et vertige à cette poussée.

Dans la Marche - René Char -

 

Comme en écho Tal Coat répond :

 

"Ainsi peut-être, à la pointe de l'extrême aigu,

sur l'arête au fil le plus tranchant

franchirai-je cette zone de l'interdit

et déboucherai-je sur le réel, l'ultime réel ;

et saurai le commencement et pourrai accomplir"

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