"Ne point calculer, ni compter ; mûrir comme l'arbre qui ne fait pas monter sa sève plus vite qu'elle ne va et se dresse avec confiance au milieu des tempêtes de printemps sans avoir peur que ne vienne aucun été "

 

- Rainer Maria RILKE -

 

 

 

FP -D'après Tomioka Soichiro
La ronde - Photo F. P

 

Le crayon du silence.

L'essentiel de la vie d'un arbre se cache sous terre. Son système racinaire représente près de 80% de sa biomasse ! Mais nous ne voyons que la partie immergée de cet iceberg végétal. C'est un peu comme les hommes et leur inconscient. On ne voit pas le principal.

 

L'arbre est devenu au fil des temps modernes cet inutile indésirable qui nous attend au tournant d'une route verglacée. Maintenant que sa fonction de puits à carbone est notoire, c'est un truc vénéré par l'histoire. Mais pour beaucoup d'entre nous, l'arbre est toujours un des meubles du paysage. Terrible erreur, c'est avant tout un être vivant !

 

L'arbre est d'abord cet axe naturel qui s'élève sur ses racines pour se diriger vers le ciel.

Même culbuté par une météo scélérate, il se dresse toujours vers la lumière. Fier et humble à la fois. Il ne se plaint jamais. L'arbre, c'est ce crayon de silence qui dessine le paysage jusqu'à l'horizon.

Il doit juste trouver un peu d'eau pour étancher sa soif et ce qu'il faut d'espace et de place pour étendre ses bras. Un biberon de substrat coincé entre deux cailloux maigrichons lui suffisent pour prendre racine. Quand, plus tard, ses feuilles vrillent et tombent à l'automne au sol, elles forment des cornets protecteurs pour les insectes avant de devenir de l'humus. L'arbre est par nature un altruiste. Il sait donner.

 

Les arbres nous apaisent en toutes circonstances. On peut les enlacer, les caresser, leur parler, car ils nous reçoivent toujours avec calme.

 

L'arbre, c'est un oracle de taiseux.

 

On se raccroche à ses branches quand rien ne va plus. L'arbre est la bouée de sauvetage de notre désarroi. Et, comme il est partout autour de nous !

 

Il se présente parfois comme un grand gaillard dont l'architecture graphique nous subjugue. C'est un oracle silencieux dont les feuilles, pointues, dentelées ou arrondies, sont les runes de la nature. L'arbre a tant de choses à nous dire qu'il ne sait pas par où commencer. À nous de les deviner.

 

Seule la couronne des arbres qui poussent au sein de la société docile d'une forêt, accède pleinement à la lumière, alors que l'arbre solitaire, lui, se frotte en entier, des racines à la tête, aux rayons de l'astre solaire. Il en est de même pour nous les hommes. La ville nous maintient dans la pénombre anesthésiante de la superficialité.

La forêt est un temple que l'homme a organisé, rangé selon ses vues et même parfois détruit sans discernement pour des raisons économiques et aussi par la même occasion qu'elle ne serve plus de refuge à Robin des Bois et aux loups.

 

 

Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être
sont des racines, buvant les cieux ;
et dans le sol, les profondes racines d'un hêtre
leur semblent des faîtes silencieux.

Pour eux, la terre, n'est-elle point transparente
en face d'un ciel, plein comme un corps ?
Cette terre ardente, où se lamente
auprès des sources l'oubli des morts.

 

-  Rilke -

Léon Spilliaert - 1929

L'arbre est un bon samaritain.

 

Il vit volontiers en groupe, mais il sait, si nécessaire, s'isoler pour vivre en anachorète. Il prend alors perpette, reclus dans son jardin de ville ou perdu sur son talus. Mais il s'élève toujours dans l'allégresse. Si, pour lui, vivre c'est avant tout d'accepter sa solitude, il n'oublie pourtant pas d'être une escale protectrice. En bon samaritain, il accueille volontiers sous et sur son écorce, insectes et champignons (et même le peu fréquentable chancre) et dans ses branches, oiseaux piailleurs et écureuils acrobates. Cet ami discret est généreux envers nous. Il nous prête son ombre fraîche l'été et nous donne des brassées de petit bois pour les feux d'hiver, et même de belles planches pour l'ultime paquet-cadeau dans lequel le croque mort nous emballe. Du berceau au pipeau, du cercueil à la charpente, il sait, mieux que quiconque, être utile.

 

C'est un ami, un véritable ami, souvent notre seul et véritableami.

 

"L'homme, comme l'arbre, est un être où des forces confuses viennent se tenir debout " - Gaston Bachelard. L'air et les songes. 

 

 

 

Photo F. P
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