"Au commencement était le Silence. Du sein du Silence est né le Son. Le Son est l'amour. Le Son est le fils du seigneur.
Le Seigneur est le silence.
Au sein du Silence reposait le Son"
- Dialogues avec l'ange -
À quoi bon fréquenter Platon,
quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ?
- Emil Cioran - Syllogismes de l’amertume 1987
Aux sept trompettes de l'Enfer
Je préfèrerai toujours celle de Chet Baker.
Quand j'écoute les enregistrements de JAN GARBAREK, je pense plus que jamais à cette citation de CIORAN : " à quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde" ? Cette citation est extraite de son recueil Syllogisme de l'Amertume (paru en 1987). On peut facilement imaginer que l'oreille de Cioran a dû rencontrer le saxophone de Jan Garbarek. Un son extraordinaire et une technique musicale qui a trouvé son public au cours des années 1970, notamment grâce au label ECM. Pour ma part dès que j'écoute les premières notes de cette musique, je suis immédiatement transporté vers d'ineffables contrées !
C'est là toute la magie de la musique, nous transporter loin, très loin, sans que l'on bouge de son fauteuil.
La musique serait-elle la bande son du principe anthropique ?
"Tout est musique", déclarait, un brin provocateur, John Cage. Si, du tohu-bohu initial, émergea à un moment donné un son, peu importe qu'il soit issu de la musique des sphères (ce vieil air pythagoricien) ou du " Om " des bouddhistes (la mère primordiale de tous les sons). Ce qui est important, c'est qu'il émergea miraculeusement à un moment donné et qu'il fût aimable. Le son ne peut pas traverser le vide, il a besoin d'un support physique, qu'il soit liquide, solide, gazeux, etc. Il ne peut donc pas naître du vide, la graine à besoin du sol pour germer, le son a besoin d'un support pour exister.
Note après note, ton après ton, accord après accord, riff après riff, la musique est d'abord une émission de bruit, une onde qui se propage. Mais sans maçon, la pierre ne fera pas maison, et sans intelligence structurante, le bruit seul ne fera pas musique.
La musique est-elle la bande son du principe anthropique ? Tout est bruit, tant qu'une forme d'intelligence, une intelligence mathématique, n'est pas intervenue pour le structurer, l'aménager, l'harmoniser, bref, pour en faire de la musique. Mais la musique n'a de sens que s'il y a une oreille attentive pour l'écouter. Une ouïe éduquée quelque part dans l'univers est nécessaire à sa réalité. Les mystérieux borborygmes de la planète entendus à Bristol au Royaume-Uni ou à Taos au Nouveau-Mexique ne sont pas à vraiment parler de la musique. Mais le trip hop né à Bristol en est. Le bourdon (hum en anglais) entendu là-bas dans les années 1970 y est d'ailleurs peut-être pour quelque chose ?
Une fleur ne se fait pas belle. C'est nous qui la trouvons belle. Un oiseau ne fait pas de la musique, c'est nous qui trouvons son chant harmonieux. Son chant n'est pas sous-tendu par une structure musicale pensée de son côté et pourtant, pour nos oreilles, il est mélodieux. C'est un des grands mystères de la nature. Pour communiquer, la cigogne claque du bec car son organe vocal (syrinx) n'est pas configuré comme celui des autres animaux. La cigogne joue donc des castagnettes, car elle ne peut pas donner de la voix. Il y a trois mille ans, les Phéniciens ont élaboré les premières castagnettes (par mimétisme ?) alors qu'ils pouvaient eux-mêmes donner du larynx. Produire un son, voire une section rythmique en dehors de ses propres capacités physiologiques grâce à sa propre intelligence est avant tout une exploration ludique.
Si la musique musicale semble exister en dehors de notre réalité, elle est bien plus q'une banque de données, c'est une possibilité d'émancipation spirituelle. Mozart, génie précoce, en est l'exemple.
La musique, c'est ce vent des cimes qui tutoie l'infini pour redescendre souffler sur la plaine des sens.
La musique semble exploiter les faiblesses émotionnelles de l'homme. Les flonflons du regret et de la nostalgie y trouvent leur Panthéon.
La musique serait-elle putassière ?
La musique est hautement combinatoire. Elle mêle avec brio, pulsations, rythmes, fréquences, cadences, mesures, tempos, timbres, sons, vibratos, hauteurs, harmonies, pour transformer le simple bruit et exprimer l'inexprimable.
KUPKA et KANDINSKY, deux plasticiens musiciens dans l'âme :
La musique est naturellement plus cinématographique que la peinture qui est intimement liée aux formes empruntées à la nature.
(Kandinsky - Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier).
La progression harmonique du piano est semblable à la suite de Fibonacci. Mais dans cette peinture de Kupka, le clavier représenté est éclaté. La touche y rejoint la note. La touche fait sonner le paysage. Comme la touche enfoncée sur le clavier, sa valeur picturale vient structurer et faire vibrer la nature. La mélodie qui semble se dégager de l'œuvre résulte de l'ensemble des éléments utilisés par le peintre dans son tableau.