La poétique de la Barque

Si les barques ne sont dans l'ordre matériel des ports que les petites sœurs des chaloupes et autres canots, elles sont les paquebots du royaume de LilliputLes enfants qui en sont les sujets, le savent bien.

 

Si la barque est une frivole peu farouche qui dévoile volontiers sa membrure au premier venu, elle est tout aussi capable, d'une simple ruade, de le désarçonner sans ménagement pour l'envoyer illico presto à la baille. C'est que sous ses airs de ne pas y toucher, notre gourgandine a un caractère bien trempé ! On la croit docile, stable et fidèle, mais elle est surtout imprévisible. En fait, elle amplifie exponentiellement 

le moindre souffle ou occillation. Légère de constitution, elle aime avant  tout danser au gré des risées sur les flots. Notre bougresse estcapable de toutes les turpitudes pour s'amuser un peu !

 

 

 

Winslow Homer

La barque est un grain de beauté.

 

L'eau est extraordinaire !  De par sa nature, elle est insaisissable et agile. À ce titre, elle s'ajuste notamment jusqu'à la dernière goutte aux géométries les plus tordues. Mais elle est aussi capable de passer en un clin d'œil d'un état d'âme à l'autre. Cette goulue qui n'a jamais vraiment soif et qui récite volontiers le mantra de la sérénité, louera également sans vergogne l'outrecuidance du malfrat dès que l'on aura tourné les talons. Bref, elle est capable du pire comme du meilleur. Seule la petite barque peut lui monter dessus comme un grain de beauté sur la peau !

L'eau, c'est à la fois ce sifflet souffreteux et limpide, qui, au sud, coule péniblement du bec de la fontaine, se transforme au nord en un flot irrespectueux pour inonder les rues. La limpide peut ainsi devenir souillon à Venise et nous jouer la sérénade !

Mais, quel que soit le cas de figure, qu'elle soit abondante ou rare, même modeste, carpette des rues comme la flaque, elle tend son miroir au monde pour qu'il puisse, tel narcisse, s'y contempler.

Et si elle aime passer tel un slalomeur entre deux iris dans les hortillonnages ou dévaler au grand galop les pentes des montagnes, elle ne déteste pas de temps en temps musarder.  Pour paresser, se la couler douce comme on dit. Une existence plan-plan, sans ambition notoire, peut aussi la satisfaire, faute de mieux. Le premier petit creux naturel fera d'ailleurs son bonheur. Le nid de poule n'est d'ailleurs pour elle qu'une première étape, t'en attendant la houle des grands jours ! 

L'étang, c'est le cran juste au-dessus de la marre qui elle-même est au-dessus du simple creux. C'est déjà en soi une réussite sociale que d'atteindre le niveau supérieur, notre société fonctionne ainsi. Par son apparence, l'étang est en quelque sorte un ringard de seconde classe, c'est un lascar un peu triste avec une ambition à deux balles, au ras des pâquerettes. Mais heureusement, le petit bouchon rouge virevoltant d'un pêcheur un peu bedonnant vient le distraire de temps à autre. L'eau se résout toujours à accepter son karma. La belle peut aussi bien finir dans un verre avec une rondelle de citron ou bien s'accoquiner avec le vilain typhon, mais, elle sera toujours fondamentalement H2O pour l'éternité.

L'eau s'adapte aux vicissitudes sans broncher. Le robinet de la vie donne ainsi corps à un yogi ! Qu'elle dégouline le long des parois de la douche ou des joues, elle espère toujours un mieux. L'espoir, c'est son ADN !

Mais quand la barque lui grimpe dessus, elle sait qu'on attend d'elle qu'elle soit docile comme un poney dans un centre équestre, autrement dit, qu'elle se tienne à carreau comme l'eau en bouteille ! La barque n'est qu'un grain de beauté sur la peau de l'eau, mais quel grain de beauté !

L'eau peut aussi être maîtrisée par une camisole maçonnée.  Ces ouvrages coercitifs, qu'on appelle digues ou berges artificielles, transforment les rivières en rail fluvial et les ports en bassine. Les ports sont d'ailleurs maintenant trop souvent dits de "plaisance". L'eau qui y est prisonnière comme un fauve en cage y fait des ronds sans fin autour des corps-morts.

Toutes ces masses d'eau sont des océans miniatures ou le moindre clapotis peut dégénérer. L'eau est capricieuse. La barque qui est d'ordinaire une monture calme à la carapace membrée peut alors se retourner et devenir vulnérable comme une tortue sur le dos.

 

 

Ex-voto (Sanctuaire de Notre-Dame de Laghet)

Marcher sur l'eau relève du miracle. Ce miracle, l'homme l'a réalisé grâce à la barque. Ce concept flottant qui lui permet de se déplacer sur l'eau tout en gardant les pieds au sec. Le seul principe d'Archimède ne suffisant pas à faire d'un objet un moyen de transport , l'homme a dû le perfectionner pour qu'il soit stable. C'est que l'eau a du caractère. Elle est imprévisible, a priori accueillante, elle peut devenir, en un clin d'œil, odieuse.  Une ennemie sans foi ni loi.

Même s'ils sont un peu comme chien et chat, l'eau et la barque sont inséparables. L'homme moderne, chantre de la rationalité, a mis la première en bouteille pour étancher sa soif, puis s'est mis à considérer la seconde comme un simple outil.

 

La barque a d'abord été le paquebot du besogneux, l'utilitaire du peuple, avant d'être le vecteur des promenades bucoliques. Sa forme, expérimentée et améliorée au fil des siècles, est d'abord déterminée par les lois de la physique. Réalisée avec des planches, des peaux cousues, des roseaux tressés, elle est avant tout ce petit miracle de simplicité ingénieuse qui a permis à l'homme "de marcher sur l'eau". L'autre rive lui était enfin accessible. Des nouvelles zones de pêche, de cueillette et de chasse étaient désormais à portée de rame.

Mosaïque (Égypte)

Elle va vite occuper une place dans l'imaginaire ainsiique dans les mythologies et légendes. La barque s'est imposée comme le symbole qui ouvre le passage vers les autres mondes (la barque de Charon : Michel-Ange - illustration en tête de page).

C'est d'abord cette portée symbolique qui inspirera d'abord les artistes, l'exploitation de la barque dans les compositions artistiques. Sa représentation en tant qu'objet purement graphique ne viendra qu'à la fin du dix-neuvième et début du vingtième siècle.

Georges Braque

La barque, c'est bien plus qu'un mot, c'est avant tout une réalisation technique assez simple, partagée par les hommes. Une réalisation issue d'une géométrie primitive qui lui assure une flottaison. Les artistes, qui naviguent mieux que quiconque sur le fleuve de la communication ont remarqué la symbolique de la barque. Sa présence picturale  est forte, car universellement partagée.

Melaine Favennec Melaine Favennec - Barque
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