La poétique de la Barque et de l'eau

La barque est un grain de beauté posé sur l'eau

 

La barque est un grain de beauté posé sur l'eau. Cette dernière est une coquette qui offre volontiers sa peau à autrui tant qu'il ne cherche pas trop à s'incruster. C'est qu'elle a un caractère bien trempé (ça va de soi !). On la dit douce mais elle est parfois colère. En fait, elle n'est jamais vraiment la même ! Elle s'ajuste sans coup férir à toutes les géométries, même les plus complexes. Elle peut passer sans le moindre état d'âme du lent soupir du filet d'eau pathétique à l'excès pantagruéliques de la crue. Elle s'adapte ainsi parfaitement à toutes les circonstances, même les pires.

 

Elle sait être autant irrévérencieuse (la Loire) que précieuse (l'oasis). Parfois sale, voire odorante mais toujours sérénissime (Venise}, notre élégante tend dès qu'elle le peut son beau miroir au monde pour qu'il puisse, tel narcisse, y contempler son reflet.

L'eau cache bien son jeu. En fait, elle a développé au cours du temps une forme de duplicité car elle a dû assimiler tous les degrés de la patience et de la diplomatie à force de s'évertuer à noyer en loucedé le poisson. Mais tremper son bouchon n'est pas tromper dira le pêcheur à la ligneque l'on retrouvera un peu plus loin dans ce texte.

Si elle aime musarder tranquillement dans les hortillonnages entre deux iris ou bien dévaler au grand galop les pentes des montagnes, elle aime aussi parfois se la "couler douce". Elle choisit alors une existence bien plan-plan et sans ambition comme le prêt-à-porter du premier creux naturel venu (cratère ou nid de poule), ou imposé par l'homme (l'étang). Elle n'aura alors guère dans ce dernier cas de figure que le petit bouchon rouge du pêcheur bedonnant pour lui tenir de temps en temps compagnie. Un complice un peu "bidochon" pour animer au petit matin notre pusillanime.

 

L'eau est au courant de toutes les subtilités de la vie. Qu'elle dégouline le long des parois ou des joues, qu'elle s'immisce dans le moindre interstice, qu'elle occupe en bruinasse le moindre recoin d'espace, elle rêve toujours d'un avenir gazeux pour s'envoyer en l'air.

Mais quand la barque lui monte dessus, c'est déjà en quelque sorte un feu d'artifice.

 

L'eau peut aussi être contrainte physiquement par une camisole vigoureusement maçonnée. Comme ces ouvrages qui contiennent l'eau des rivières (canaux) pour les transformer en rail fluvial, ou ces digues matamoresques qui encerclent les ports pour les protéger du mauvais temps. Ces derniers, de nos jours, sont malheureusement trop souvent déclarés de "plaisance". Les molécules de l'eau y font des ronds autour des corps-morts en attendant patiemment la bascule de basse-mer. Cette eau est tristounette comme l'eau d'une bassine. Heureusement qu'il y a des barques pour y amarrer de la gaieté.

 

 

Toutes ces masses d'eau, plus ou moins importantes, sont des océans miniatures ou le moindre clapotis peut se transformer en tempête. L'eau est une monture capricieuse. La barque qui est d'ordinaire une bête calme à la carapace membrée et varanguée, peut s'y retourner à la moindre ruade et devenir vulnérable comme une tortue sur le dos.

 

Marcher sur l'eau relève du miracle. Ce miracle, l'homme l'a réalisé grâce à la barque. C'est un concept flottant qui lui permet de se déplacer sur l'eau tout en restant au sec. Le seul principe d'Archimède ne suffisant pas à faire d'un objet flottant un moyen de transport stable, l'homme a dû l'améliorer pour qu'il soit solide, stable et étanche. C'est que l'eau, née sauvageonne, a du caractère. Elle peut ainsi passer, en un clin d'œil, de l'état méditatif à l'agitation.

Même s'ils sont un peu comme chien et chat, l'eau et la barque sont inséparables. L'homme moderne, chantre de la rationalité, a mis la première en bouteille pour étancher sa soif puis s'est mis à considérer la seconde comme un simple utilitaire (une annexe !).

Ex-voto (Sanctuaire de Notre-Dame de Laghet)

Sa fonction a tout d'abord été utilitaire. La barque, c'est d'abord le paquebot du besogneux, les flonflons du bord de Marne et les flatteuses peintures impressionnistes, c'est du rêve. La forme de la barque, expérimentée et améliorée par l'homme au fil des siècles, est déterminée par les lois de la physique. Réalisée avec de bois, des peaux cousues, des roseaux tressés, elle est avant tout ce petit miracle de simplicité ingénieuse qui a permis à l'homme "de marcher sur l'eau". L'autre rive lui était enfin accessible. Des nouvelles zones de pêche, de cueillette et de chasse étaient désormais à portée de rame.

Mosaïque (Égypte)

Elle va vite occuper une place dans l'imaginaire, et rentrer dans les mythologies et légendes. La barque est l'artefact qui, symboliquement, ouvre le passage vers les mondes mystérieux. Elle permet ainsi d'échapper au déluge, de s'approcher des Dieux et d'accéder au royaume des morts.

(La barque de Charon : Michel-Ange - illustration en tête de page).

C'est cette portée symbolique qui inspirera d'abord les artistes, l'exploitation de la barque dans les compositions artistiques en tant qu'objet graphique fortement structuré ne viendra qu'à la fin du dix-neuvième et début du vingtième siècle.

Georges Braque

La barque, c'est bien plus qu'un mot, c'est avant tout une forme efficace reconnaissable d'un continent à l'autre. Une forme dont les lignes de force sont issues d'une géométrie primitive. Les artistes, qui naviguent mieux que quiconque sur le fleuve de la communication, se sont appropriés sa simplicité évocatrice. La présence picturale de barque est forte, car universellement partagée.

Melaine Favennec Melaine Favennec - Barque